Cinéaste de 102 ans, Manoel de Oliveira signe avec L’Etrange Affaire Angelica son 32ème long-métrage.
Isaac, un jeune photographe portugais, est appelé un soir au chevet d’une jeune femme décédée afin de la photographier. Mais ce qu’il voit alors dans son viseur va l’ébranler durablement.
Tout d’abord, et pour être tout à fait honnête, je dois confesser que je me suis quand même passablement ennuyé durant le film, et que j’ai même fermé l’œil durant la très longue séquence du dîner à la pension (apparemment celle-ci dure 10 min en plan fixe, je n’ai pas pu résister). Je ne pourrais donc pas vous recommander chaudement d’y aller, mais je ne voudrais pas non plus vous faire passer votre chemin trop rapidement, car il est évident que ce film est à cent milles lieux des productions habituelles, et qu’il porte une vision du monde d’un très grand cinéaste du XXème siècle.
Revenons donc sur le film en lui-même.
A l’encontre des films sur-découpés et/ou des séquences filmées caméra à l’épaule façon reportage mal cadré (voire Paul Greengrass), l’Etrange Affaire Angelica est basé sur une mise en scène extrêmement posée, un rythme lent (envoûtant pour certains, soporifiques pour d’autres) avec une majorité de plans fixes. Mêmes si certaines critiques encensent le cadrage magnifiquement composé, je ne trouve pas que ce soit le point remarquable du film, mais plutôt l’économie du découpage que Manoel de Oliveira maîtrise parfaitement, jusqu’à une simplicité aux allures de sécheresse. Les séquences dans la chambre du photographe sont à ce titre extrêmement dépouillées, les plans choisis (plans larges face au décor) faisant référence aux débuts du cinéma, tel le cinéma de Méliès par exemple. Les trucages visuels des visions de la jeune femme décédée en montre également la nostalgie.
Et c’est d’ailleurs là que se trouve un des nœuds du film qui me dérange, si on le prend comme œuvre sortie dans les années 2000 : sa nostalgie empreinte de passéisme traditionaliste.
Quand je parlais plus haut d’un très grand cinéaste du XXème siècle, la formule était bien sûr consciencieusement choisie, car Oliveira (et c’est bien naturel) est évidemment un cinéaste de l’ancienne génération (sans aucune connotation péjorative), et ayant grandi avec les débuts du cinéma. La nostalgie de ce cinéma est donc bien présente dans cette nouvelle œuvre, et permet de reprendre un peu de souffle face aux cocktails surexcités que l’on nous propose chaque semaine dans les salles obscures.
Par ailleurs, le film baignant dans un indistinct temporel, la prégnance du traditionnel contre le moderne est forte. Ainsi l’empathie pour les paysans qui travaillent la terre à la main contre la vision en gros plan de la charrue du tracteur qui nivelle le sol en aplatissant tout.
Pour tenter de sauver quand même le film, un des moments les plus beaux esthétiquement et réflexivement du film est le plan où Isaac voit dans le viseur de son appareil photo réflex la jeune morte se réveiller et lui sourire. Il y a là une grande idée de mise en scène où ce réveil est vu par le truchement d’un appareil de visée (dont on connaît d’ailleurs le débat sur sa soi-disante objectivité par rapport au monde). Ici il n’est pas réellement question d’objectivité ou de subjectivité mais plutôt de comment regarder les choses et comment voir au-delà, de passer du visible à l’invisible. Et c’est au moment où le cadre est vu comme un cache occultant le reste du monde, que l’invisible peut apparaître à l’œil du regardeur/photographe.
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